LA REFORME DES RETRAITES – ANALYSE EN PROFONDEUR PAR ALAIN ALCOUFFE

Depuis quelques décennies,  le fait de partir à la retraite est une quasi-certitude, et les différents dispositifs (systèmes de retraite) mis en place semblent avoir atteint leurs objectifs puisque partout en Europe, la vieillesse n’est plus synonyme de pauvreté...

Depuis quelques décennies,  le fait de partir à la retraite est une quasi-certitude, et les différents dispositifs (systèmes de retraite) mis en place semblent avoir atteint leurs objectifs puisque partout en Europe, la vieillesse n’est plus synonyme de pauvreté, et les retraités actuels ont en moyenne un niveau de vie quasiment équivalent à celui de ceux qui travaillent. Pourtant en 1991, Michel Rocard en présentant le livre blanc de la réforme des retraites déclarait que « le problème des retraites est de nature à faire tomber quatre ou cinq gouvernements »  le problème est toujours à l’ordre du jour en France mais aussi dans les autres pays et constitue un défi considérable. Durant cette période, rapports et réformes se sont succédé sans qu’un consensus n’émerge sur une réforme pérenne.

Les données du problème

Le système français s’est reconstruit après la seconde guerre mondiale sur le principe de la répartition dans lequel les cotisants actuels financent les pensions actuelles et comptent sur les cotisants futurs pour payer leur propre pension. Les fluctuations des marchés financiers des dernières décennies ont été telles que personne en France ne proposent d’instaurer un système par capitalisation.  Deux logiques peuvent sous-tendre les systèmes de répartition : une logique assurantielle, dans laquelle les cotisations donnent des droits proportionnels aux cotisations et une logique assistantielle, dans laquelle les cotisations sont utilisées dans un optique de redistribution. Le système français est à dominante assurantielle mais avec des éléments assistantiels (minimum vieillesse, trimestres de bonification). Ce système comporte 4 paramètres (le taux de cotisation, le taux de remplacement, la durée d’assurance, l’âge de départ à la retraite). Le système n’a aucun mécanisme d’autorégulation : si les cotisations excèdent les pensions ainsi calculés, des réserves apparaissent ou au contraire si les pensions dépassent les cotisations, il y a un déficit qui doit être résorbé en changeant les paramètres de façon à ajuter les deux montants s’ajustent.

Ce désajustement est inévitable si l’espérance de vie continue à croître comme cela figure dans les prévisions actuelles qui montre la détérioration continue du rapport entre le nombre de retraités et le nombre des actifs.

En réalité le système des retraites qui a une longue histoire dont il n’a pas été fait table rase après 1945 s’est complexifié au cours des années et il est commode distinguer trois étages : les régimes de base légalement obligatoires, qui en constituent le socle,  les régimes complémentaires légalement obligatoires  et les dispositifs d’épargne retraite collective et individuelle. Il existe actuellement vingt et un régimes de retraite de base, que le conseil d’orientation des retraites regroupe en trois ensembles par grandes catégories professionnelles.

Le premier, qui couvre les salariés du secteur privé et les non-titulaires de la fonction publique  rassemble environ 70 % des actifs.

Le deuxième ensemble se compose des régimes des non-salariés.   Cet ensemble couvre environ 10 % des actifs.

Le troisième ensemble correspond aux régimes spéciaux, qui couvrent principalement les fonctionnaires et les salariés des entreprises publiques et, dans quelques cas, des salariés d’entreprises privées (marins, clercs et employés de notaires…). L’ensemble de ces régimes couvre environ 20 % des actifs.

Le deuxième étage : les régimes complémentaires obligatoires

Les régimes complémentaires se sont superposés aux régimes de base dès 1947 avec la création de l’association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc), puis en 1961 avec la création de l’association des régimes de retraite complémentaire (Arrco) pour l’ensemble des salariés du secteur privé.  .

Tous les salariés et non-salariés du secteur privé sont affiliés au moins à un régime complémentaire obligatoire. C’est le cas depuis 2003 pour les non-salariés agricoles (régime complémentaire obligatoire géré par la MSA) et depuis 2004 pour les commerçants (régime géré, avec le régime complémentaire obligatoire des artisans, par le RSI). Pour les professions libérales, regroupées au sein de la CNAVPL, ce sont les dix sections professionnelles  qui  assurent  la  gestion  des  régimes  complémentaires.  Par ailleurs, cinq groupes professionnels libéraux conventionnés bénéficient d’un régime de retraite supplémentaire obligatoire, les « avantages  sociaux vieillesse » (ASV).

Contrairement aux salariés du secteur privé, c’est généralement la même caisse qui gère le régime de base et le régime complémentaire des non-salariés. Dans les régimes de la fonction publique et les régimes spéciaux, il n’existe pas de distinction entre retraite de base et retraite complémentaire : ces régimes sont qualifiés de régimes intégrés. Depuis 2005, les titulaires des trois fonctions publiques sont affiliés au régime additionnel de la fonction publique (RAFP), qui se caractérise par le fait que les cotisations sont assises  sur les primes et indemnités perçues au titre des heures supplémentaires et des avantages en nature des fonctionnaires dans la limite de 20 % du traitement indiciaire. Le RAFP est l’unique exemple en France de régime par capitalisation obligatoire. Les agents non titulaires de l’Etat, des collectivités locales et des établissements hospitaliers relèvent du régime général pour leur retraite de base et de l’Institution de retraite complémentaire des agents non-titulaires de l’Etat et des collectivités publiques (Ircantec) pour leur retraite complémentaire.

Le troisième étage : l’épargne retraite collective et individuelle (Perp,  (Pere)  (Perco) PREFON)

La diversité des règles et des paramètres de calcul des pensions

À l’empilement des régimes s’ajoutent des règles d’acquisition et de valorisation des droits à la retraite différentes, principalement entre régimes de base et régimes complémentaires, et une diversité encore plus grande des paramètres de calcul de la pension. Aussi dans une tribune du Monde le 3 septembre 2010, F. Chérèque écrivait : « L’avenir de notre système de retraites nous invite à engager une réforme globale afin de corriger les inégalités, développer les possibilités de choix individuels et pérenniser le système par répartition. Une telle réforme passe par la convergence de tous nos systèmes de base, aujourd’hui éclatés en plus de trente régimes différents aux règles illisibles pour nos citoyens. Alors que 40 % des nouveaux retraités ont cotisé dans au moins deux régimes différents de base, la complexité actuelle mine leur confiance dans le système, car elle facilite la remise en cause des droits de retraite acquis et entrave l’effort de solidarité envers ceux qui en ont le plus besoin. »

La tribune de F. Chérèque était signée par une brochette d’intellectuels parmi lesquels Antoine Bozio et Thomas Piketty, auteur d’un projet de refonte générale des régimes de pensions et leur remplacement par un système public et obligatoire, fondé sur des comptes individuels de cotisations et financé par répartition. Ce nouveau système, sur le modèle de la réforme mise en place en Suède entre 1994 et 2008, a l’avantage de mieux prendre en compte les carrières longues, de s’adapter à l’augmentation de l’espérance de vie, de permettre des retraites progressives et d’offrir des garanties solides à long terme sur la viabilité du système de retraite – et ce pour l’ensemble des générations, y compris les plus jeunes. »

La réforme portée par Delevoye s’inspire largement de Bozio/Piketty 2008 et Macron met en avant une exigence de justice et d’égalité « 1 euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ». Cet objectif pose des problèmes de transition car le calcul actuel des retraites ne découle pas automatiquement des seuls cotisations mais à tout un ensemble de considérations (redistributives comme avec les trimestres accordés aux mères ou de gestion des ressources humaines – les catégories A de la fonction publique relativement mal payées mais bénéficiant de rémunération ascendante et donc d’une retraite plus confortable).

Réforme des retraites : les gagnants et les perdants

Pour dresser un tableau comparatif des régimes existants et du projet de réforme, il faut bien sûr aller au-delà des principes de calcul (annuités d’un côté, points de l’autre) et regarder comment les choix qui seront opérés lors de la mise en place du système à points mécanismes vont impacter les différentes parties prenantes. Au lieu de la simplicité qui semblait s’attacher au principe de la retraite par points, les débats des derniers mois ont fait apparaitre la difficulté pour proposer un système unique qui tienne compte de l’hétérogénéité des parcours, des conditions de travail et des rémunérations. Le système de retraite actuel combine une logique assurantielle (la retraite dépend des cotisations versées) et une logique assistancielle (la solidarité venant compléter l’absence de cotisations pour des raisons jugées légitimes). Le projet de réforme ne prétend pas détricoter ces mécanismes mais comme la mise en œuvre change, la transposition est loin d’être évidente. Il est hors de question d’examiner les modalités des régimes de non-salariés en raison de leur grande diversité. On notera simplement que lors de l’instauration du nouveau régime, leurs « droits acquis » seraient préservés – les soucis que certaines professions libérales expriment avec virulence tiennent à leur crainte de voir les réserves constituées par leurs caisses spoliées et aussi par l’augmentation de leurs cotisations pour celles qui choisissaient des retraites modestes et bénéficiaient d’une pyramide des âges favorables.

Pour les salariés du secteur privé et les non-titulaires de la fonction publique  et les régimes spéciaux, en se basant sur le rapport remis par le haut-commissaire à la réforme des retraites, les actifs qui comptabilisant une carrière incomplète et hachée devraient obtenir dans le nouveau système des points de solidarité au titre des périodes d’inactivité (chômage, maternité et maladie entre autres). Pour les actifs aux revenus modestes, la réforme des retraites leur garantit une pension minimale à hauteur de 85% du Smic net. Actuellement, ce pourcentage est de 75% pour les agriculteurs et de 81% pour les salariés.

En outre, Jean-Paul Delevoye préconise une majoration de 5% par enfant, et ce dès le premier enfant. Ce droit sera attribué par défaut à la mère, mais un partage entre les deux parents sera également une option. Dans le système actuel, les parents de trois enfants et plus bénéficient d’une prime de 10% chacun sur leur retraite de base, soit 20% de majoration pour le couple. La majoration dès le premier enfant est une bonne nouvelle pour les parents d’un ou deux enfants. Cependant, il désavantage un couple avec trois enfants qui dans le système actuel bénéficie de 20% de prime et dans le nouveau régime ne pourra prétendre qu’à 15% de majoration, soit 7,5% chacun en cas de partage entre les parents.

Les bénéficiaires de pension de réversion, majoritairement des femmes, seront également gagnants dans le nouveau système de retraite par points. En effet, le conjoint survivant devrait percevoir 70% des ressources du couple. Quelle que soit la profession de l’affilié social décédé, le calcul de la pension de réversion devrait être le même selon le rapport du haut-commissaire à la réforme des retraites.

Dans le cas des fonctionnaires par ailleurs, de grands changements se préparent puisque le système universel pourrait leur prendre le droit de partir avant l’âge légal de départ à la retraite. Policiers, douaniers, pompiers et surveillants pénitentiaires pourront continuer à prendre leur retraite à 57 ans. Comme les métiers régaliens, d’autres fonctionnaires de « catégorie active » tels que les aides-soignants auront également la possibilité de partir à 60 ans s’ils bénéficient du compte professionnel de prévention, une disposition qui remplace la « pénibilité ». Les préconisations du haut-commissaire prévoient un décalage progressif de 4 mois par génération pour la retraite anticipée. Ainsi, la première génération à ne plus profiter de ce dispositif sera les actifs nés en 1982. En revanche, des fonctionnaires tels que les enseignants seront désavantagés par le nouveau mode de calcul de la pension de retraite en raison d’un niveau de primes assez bas, voire inexistant.

Actuellement, l’une des principales différences entre les régimes publics et privés tient au choix du salaire de référence : dernier salaire pour les fonctionnaires, 25 meilleures années dans le secteur privé. Dans le nouveau système fondé sur les comptes individuels, toutes les années de cotisations compteront de la même façon, pour les fonctionnaires comme pour les salariés du privé. Le fait de traiter toutes les années de cotisations de la même façon tend à avantager les carrières salariales modestes, et donc va dans le bon sens en termes de redistribution. De fait, les effets pervers liés à la seule prise en compte des dernières années dans l’ancien système sont encore plus marqués dans le public que dans le privé : l’utilisation du dernier salaire comme salaire de référence est extrêmement avantageux pour les fonctionnaires de catégorie A connaissant de fortes progressions salariales en toute fin de carrière, au détriment des fonctionnaires de catégorie C dont la carrière est généralement beaucoup plus plate. Ce système fondé sur le dernier salaire conduit en outre souvent à de véritables courses contre la montre pour des promotions artificielles de dernière minute à l’échelon supérieur ou en classe exceptionnelle. »

L’âge de départ à la retraite et le calcul des retraites sur les 6 derniers mois constituaient à n’en pas douter un élément important de l’attractivité des professions concernées et compensaient diverses sujétions et la modicité des rémunérations comme l’a admis le président Macron (le 28/10/2019) qui a évoqué la possibilité de retarder le changement de système au départ du service actif des derniers recrutés (après 2060). Une telle solution est connue sous le nom de clause du grand père en effet tous ceux qui travaillent aujourd’hui échappent à la réforme des retraites. Seuls seraient concernés ceux qui seront sur le marché du travail dans les années à venir et qui paieront les retraites de papy et mamy. Elle irait à l’encontre de l’objectif poursuivi de transparence et d’universalité du système de retraite en créant une rupture brutale entre les générations. Une solution alternative consisterait à relever le niveau des rémunérations des professions bénéficiant de ces retraites basées sur le dernier salaire pour compenser la baisse du montant de retraite .  En prenant la grille d’un professeur des écoles, l’augmentation de la rémunération compensatrice serait de l’ordre de 20%[1]. Il est peut-être encore temps de sortir les calculettes et de procéder au chiffrage des différents scénarios possibles pour la transition.

 

Bozio, A., & Piketty, T. (2008). Pour un nouveau système de retraite: Des comptes individuels de cotisations financés par répartition. Paris: Rue d’Ulm.
Chérèque, F., (et Touraine, Wievorka, Dubet..), (2010) Une-autre-reforme-des-retraites-est-possible, Le Monde, 8 septembre
Delevoye JP, (2019) Pour un système universel de retraite,  Préconisations du Haut-Commissaire à la réforme des retraites Juillet 2019
Herschlikovitz, L. (2019)  Réforme des retraites : les gagnants et les perdants, 27/08/, https://www.retraite.com/reforme-retraite/actualites/aout-2019/reforme-des-retraites-les-gagnants-et-les-perdants.html
Hureau Pierre et André Servais ?  « réformisme » de la CFDT, de quoi parle-t-on au juste ? « Mouvements » 2006/1 no 43pp. 36 à 40
Palier, B. (2014). La réforme des retraites. Paris, Puf – Que sais je
Piketty T., Blog du 10 septembre 2019, https://www.lemonde.fr/blog/piketty/2019/09/10/quest-ce-quune-retraite-juste/
Rocard, M., & Benhamou, G.-M. (2007). Si la gauche savait. Paris: Robert Laffont.
(les données sur les retraites sont tirées des rapports du  Conseil d’orientation des retraites www.cor-retraites.fr ).

[1] La grille d’un professeur des écoles va de 1500€ à 4500€ avec une retraite calculée sur ce dernier salaire de 3375€. En supposant pour simplifier une augmentation linéaire de la rémunération au cours de la carrière, la retraite calculée avec les taux de cotisation et la valeur du point envisagée est de 2100€. Si l’on table sur une durée de la retraite de 20 ans, la réduction de la retraite correspond à 300000€ soit par mois d’activité en moyenne 600 euros. En première approximation une augmentation de 15% des rémunérations pendant la période d’activité réduirait le différentiel des retraites et compenserait le changement de calcul..