Votre prédécesseur à l’Éducation Nationale a voulu un choc des savoirs, mais pour le moment ce sont les personnels de l’EN, dans leur grande majorité, qu’il laisse en état de choc.
Lettre à la ministre de l’Éducation nationale
DU CHOC DES SAVOIRS À L’ÉTAT DE CHOC
Madame La Ministre,
Votre prédécesseur à l’Éducation Nationale a voulu un choc des savoirs, mais pour le moment ce sont les personnels de l’EN, dans leur grande majorité, qu’il laisse en état de choc.
Jamais depuis au moins ces trente dernières années, l’école, notre école, n’avait été aussi violemment attaquée dans ses fondements, son essence, ses promesses républicaines d’égalité et de fraternité.
Jamais le politique ne l’avait autant emporté sur le pédagogique, jamais les privilèges de quelques-uns ne l’avaient autant emporté sur l’intérêt de tous.
Pour la première fois depuis longtemps, notre conviction n’est plus seulement que les mesures prises sont insuffisantes, difficiles à mettre en œuvre, contraires aux réalités de terrain ; non pour la première fois depuis longtemps, depuis très longtemps, nous avons le sentiment, la certitude, de conduire une grande partie de nos élèves à l’échec et dans l’impasse, la certitude que nous abandonnons les plus fragiles et que si nous n’agissons pas, si nous laissons faire sans rien dire, l’école, notre école, sera l’école du renoncement, celle de toutes les abdications.
Les groupes de niveau sont une erreur et sont à rebours de tout ce que nous avons fait ces dernières années. Cette organisation est non seulement incapable de répondre aux défis de l’école, à ses aspirations et sa volonté de faire vivre l’égalité des chances, mais en plus elle détruit tout ce qui pouvait fonctionner dans les établissements scolaires, toute l’autonomie des équipes qui sur le terrain, faisaient vivre et appliquer au niveau local toutes les directives nationales.
Les groupes de niveau créent un véritable Apartheid social et scolaire qui ne fera que renforcer les difficultés du vivre ensemble. Au-delà de l’impasse pour les élèves, au-delà de leur devenir dans ce système qui les ghettoïse, c’est une vision de la société que nous dénonçons, celle du séparatisme, de l’exclusion, celle qui a renoncé à faire vivre ensemble, et se croiser des destins différents.
L’uniformisation à marche forcée des tenues des élèves ne cachera pas l’indigence des mesures proposées en terme de mixité. Ce qui attend les élèves c’est bien l’école du repli, l’école de la stigmatisation alors qu’elle doit rester le lieu de l’hétérogénéité sociale et culturelle, le lieu du vivre ensemble, le lieu où se construisent la mémoire collective et un destin commun.
Nous prévoyons pour le mois de septembre une rentrée sous très haute tension, avec des parents et des élèves stigmatisés par le tri, écœurés par un système dont ils comprennent bien qu’il ne veut pas d’eux. Comment voulez-vous que nous parvenions à leur faire croire que tout cela est pour leur bien ? Comment les convaincre alors que nous savons qu’ils ont raison ?
Quel professionnel de l’éducation peut penser qu’il suffit à un élève de travailler pour réussir, qu’il n’existe pas de contraintes ni de contexte socioculturel, qu’il n’y pas de reproduction sociale et que l’école parvient à emmener de la même manière tous les élèves ? Nous sommes convaincus au contraire que l’école doit jouer un rôle pour briser les déterminismes et tenir ses promesses républicaines d’égalité des chances par une politique volontariste.
Ce que nous dénonçons c’est un système où même l’enseignement, la culture, le savoir sont devenus des biens trop chers pour une catégorie d’élèves, d’enfants, exclus de tout, sauf du mépris.
La mise en place de ces groupes de niveau contient le germe d’une possible fracture de la société à la prochaine rentrée, qui prendra racine au sein même de notre école.
Car la stigmatisation finira pas se muer en colère, et la colère en révolte.
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